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Existe-il un tremblement mercuriel?

 
 
par J. M. Charcot (leçon recueillie par M. Paul Blocq)

About this text.

 
 Charcot dans sa clinique, peinture par Brouillet. (Charcot in his clinic, painting by Brouillet.)

Messieurs, nous avons aujourd'hui l'occasion d'étudier de près, et sous sa forme classique, une affection nerveuse qu'on a considérée comme se rattachant à une intoxication: la tremblement mercuriel.

”Le tremblement mercuriel ne serait-il pas une légende? Celles-ci fourmillent dans l'histoire médicale du mercure.”

Le mercure, ce demi-métal, comme l'appelaient les alchimistes, a été accusé de tous les méfaits, tant par les hygiénistes que par les thérapeutes. Certaines professions sont particulièrement frappées, les sécréteurs de poils, les chapeliers, les miroitiers, les doreurs sur bois, soit que le métal s'introduise par la peau, soit qu'il soit absorbé par la respiration. Mais parmi tant de maux dont cette intoxication est incriminée, il faut aussi faire la part de ceux que lui attribue la légende. Et, à cet égard, je me souviens d'avoir rapporté, d'après les auteurs, dans l'histoire du vaisseau le Triomphe, où des cas d'intoxication se seraient produits en raison de la volatilisation du mercure contenu dans les outres que les matelots avaient chargées à bord, que plusieurs de ceux-ci auraient été pris de tremblement. Or, en consultant le récit authentique de cette observation demeurée fameuse, dans les Archives de médecine, j'y ai lu, qu'en effet on avait noté des accidents d'intoxication, de la gingivite notamment, mais de tremblement, pas.

Des trois malades que j'ai fait placer sous vos yeux, l'un est atteint de sclérose en plaques, les deux autres (doreur et sécréteur de poils) de tremblement hydrargyrique. Nous allons les comparer entre eux, pour essayer de nous rendre compte par quels caractères ils se ressemblent, et par quels signes ils se distinguent.

Au premier abord, les similitudes sont frappantes. Examinez-les, assis, tranquilles, au repos: ils ne tremblent pas. Leur tremblement appartient, en effet, à la catégorie de ceux que j'ai appelés tremblements intentionnels.

Quel est ce qualificatif, que vous ne trouverez pas dans les dictionnaires, car il n'est pas français? Il indique, mieux que tout autre, et c'est là la raison qui me l'a fait adopter, que le tremblement ne survient qu'à l'occasion des mouvements qu'on a l'intention de faire.

Ce caractère est commun à nos trois malades, et vous allez en avoir la démonstration. Je commande à ces malades de prendre une cuiller et de simuler l'acte de la porter à la bouche, et vous voyez, dès que l'opération commence, le tremblement se dessiner, puis ses oscillations augmenter de plus en plus de fréquence et d'amplitude, au fur et à mesure que l'acte se poursuit, je ne dis pas, s'accomplit, car ils n'y parviennent guère, et vous entendez les chocs de le cuiller sur les dents. Vous remarquerez mieux encore le même caractère, lorsque j'ordonne aux malades de prendre un verre plein d'eau et d'essayer de le mettre à la bouche. C'est qu'ici il intervient un élément émotif - la crainte de projeter l'eau. - Or, l'émotion exagère considérablement le tremblement, et, ces mêmes malades, qui, devant vous, ne parviennent pas à accomplir les mouvements si simples, à l'exercice desquels je les ai conviés, rentrés dans leur salle, arrivent à boire sans aide. A ce propos, je vous engage à mettre à profit cette notion de l'influence émotive, pour, en exagérant la manifestation, la révéler en quelque sorte chez les malades où elle est peu prononcée. Faites par exemple, prendre un verre d'eau rempli jusqu'au bord et placé sur un plateau, à sujets soupçonnés de tremblement de ce genre, et cette petite manoeuvre réussira souvent à faire apparaitre, avec des caractères indubitables, des oscillations d'une appréciation malaisée.

Ces signes sont tout à fait semblables chez nos trois malades. Cépendant l'un d'eux, vous l'aurez remarqué, s'est mis à rire d'une façon continue, presque forcée au cours de ces excercices. C'est là un des signes de sa maladie, et nous pouvons déjà éclairer la situation en prenant comme point de repère ce symptôme qui s'observe dans l'état mental de certaines scléroses en plaques. Nous chercherions alors dans la série des signes de cette myélopathie. Or, notre malade présente de l'embarras de la parole qui est lente et scandée, alors que chez les mercuriels les troubles de l'articulation des mots quand ils se rencontrent, ce qui n'est pas le cas de nos deux sujets actuels, consistent plutôt en une élocution hachée et précipitée. Le nystagmus, que nous trouvons ensuite en cherchant dans la même direction, ne se voit pas, que je sache, dans le tremblement mércuriel. Ce malade est donc atteint, lui, de sclérose en plaques.

Mais il existe une autre variété de tremblement, dont le diagnostic mérite de nous arrêter: le tremblement hystérique. Celui-ci est essentiellement variable dans ses formes, à ce point qu'il peut imiter tous les tremblements, et, en particulier, celui de la sclérose en plaques, ainsi que le montre la malade que je vous présente. Ce tremblement intentionnel hystérique, nous l'appelons le type Rendu, du nom du médecin qui nous l'a fait connaître. Il offre des caractères exactement similaires à ceux de la sclérose en plaques et de l'hydrargyrisme, aussi l'aspect seul ne permet-il pas de distinguer ces trois variétés.

Il n'en est plus ainsi d'autres tremblements dont, au contraire, le diagnostic est aisé, de celui de la maladie de Parkinson, par exemple. Là, et vous en pouvez juger par l'examen du malade que je viens de faire introduire, le contraste est saisissant. C'est au repos qu'a lieu le tremblement, tandis qu'il cesse plutôt lors de l'exécution des mouvements volontaires.

Il nous reste donc à considérer dans cette catégorie des tremblements intentionnels, outre celui de la sclérose en plaques, celui de l'hystérie et celui de l'hydrargyrisme. Mais ce dernier représente-t-il une véritable espèce morbide? À mon avis il n'en est rien; tout, au contraire me dispose à croire actuellement que le tremblement mercuriel n'existe pas: c'est là, du moins, ce que je vais m'attacher à vous démontrer. Il est un point curieux dans l'histoire du tremblement mercuriel c'est que s'il et fréquent chez les intoxiqués par profession, il est presque inconnu dans les intoxications médicamenteuses. Ainsi, on n'en trouve pas mention dans les écrits des syphiliographes: je fais exception pour ces cas anciens, remontant aux temps de Francois Ier, où quelques exemples en auraient été rencontrés, chez les gens - frotteurs - qui faisaient métier de soigner les syphilitiques, et leur appliquaient les frictions. Mais ni Rollet de Lyon, ni les autres auteurs n'en ont jamais vu dans leur longue pratique.

”D'autre part, dès qu'un ouvrier se met à trembler dans un atelier, le patron, instruit par l'expérience, le renvoie aussitôt, car si l'un de ses hommes commence à trembler, il ne tarde pas à y en avoir plusieurs.”

A quoi tient cette différence dans les effets d'une même intoxication, selon qu'elle est produite par l'exercice d'une profession, ou par un traitement? Serait-elle due à la voie d'introduction du médicament? Il ne le semble pas, et ce motif est mieux indiqué par les résultats de l'enquête qu'on a faite sur lés ouvriers exposés à l'intoxication. On a appris, ainsi, que le travail dans certains ateliers détermine le tremblement alors qu'ailleurs on ne l'observe pas dans les mêmes conditions. D'autre part, dès qu'un ouvrier se met à trembler dans un atelier, le patron, instruit par l'expérience, le renvoie aussitôt, car si l'un de ses hommes commence à trembler, il ne tarde pas à y en avoir plusieurs. Cela, les ouvriers ne l'ignorent pas, et ils savent aussi que ce n'est guère qu'après 7 à 8 ans que se déclare le tremblement, qu'occasionnent souvent alors la crainte seule, ou d'autres causes morales banales.

Le tremblement mercuriel ne serait-il pas une légende? Celles-ci fourmillent dans l'histoire médicale du mercure. N'a-t-on pas dit de ce métal, qu'il était un médicament terrible, qui stagnait dans les tissus, dans les os notamment où on le retrouvait aux autopsies, alors qu'aucun anatomiste, et notamment Virchow, n'a jamais rien observé de semblable.

Van Swieten n'a-t-il pas raconté qu'il avait trouvé du vif-argent en nature dans les ventricules du cerveau?

Fourcroy, qui a traduit l'Histoire des Maladies des Artisans de Ramazzini (1700), bien qu'il ait décrit sincèrement le cas d'un doreur atteint de tremblement " qui lorsqu'il portait sa main à sa bouche, se frappait ", ne rapporte-t-il pas qu'un empirique ayant frotté avec un onguent le corps d'un mercurialisé, et ayant ainsi déterminé la formation de phlyctènes et de bulles, on recueillit du mercure dans le liquide issu de celles-ci!

Tout cela appartient bien, n'est-il pas vrai, au domaine de la légende, et, pour en revenir au tremblement mercuriel, je pense qu'il peut rentrer dans la même catégorie.

En somme il n'y aurait pas de tremblement mercuriel.

Le tremblement mercuriel serait tout simplement un tremblement hystérique. Cette doctrine ne m'est pas personnelle; elle a été formulée déjà par M. Letulle. Ce médecin distingué aurait été conduit, par ses recherches sur les accidents causés par le mercure, à conclure dès 1888, " qu'il est permis d'annoncer que pour un grand nombre, je n'ose pas dire pour la totalité des cas, les tremblements mercuriels appartiennent - à la grande névrose " [1].

Plus tard dans un nouveau travail [2], le même auteur nous dit encore que " presque tous les vieux coupeurs de poils sont des névropathes. Ils sont excitables, suggestibles, peut-être hypnotisables. Je reste sur une sage réserve, et si je ne prononce pas le mot d'hystérie, c'est pour ne pas provoquer de discussions. "

Pour mon compte, je disais, il y a trois ans: la plupart des tremblements mercuriels sont hystériques; existe-t-il, en outre, des tremblements mercuriels, et quels sont, alors, leurs caractères distinctifs?

”Aujourd'hui, je crois que cette distinction n'est pas à rechercher, car je n'hésite pas à affirmer que tous ces tremblements sont hystériques.”

Aujourd'hui, je crois que cette distinction n'est pas à rechercher, car je n'hésite pas à affirmer que tous ces tremblements sont hystériques.

Il me reste à vous le démontrer. Lé tremblement hystérique est semblable à celui que vous avez vu chez nos deux mercuriels, en nombre de circonstances mais là, nous trouvons des stigmates. Toutefois, il existe aussi des hystéries sans stigmates.

De plus, nous connaissons déjà une certaine variété d'hystérie relativement analogue, l'hystérie toxique. J'ai démontré, en ce qui concerne le saturnisme, qu'à côté des accidents qui appartiennent en propre à l'intoxication par le plomb, comme la paralysie des extenseurs, il se développait parfois des manifestations comme l'hémianesthésie, les crises, qui n'étaient nullement plombiques, et ressortissaient à l'hystérie. Pour ce qui a trait à l'alcoolisme il en est de même: nous connaissons les paralysies et le tremblement qu'il occasionne, et les distinguons de la névrose qu'il provoque.

Pour en revenir à l'intoxication mercurielle, c'est la même histoire, et M. Letulle l'a résumée ainsi de la façon la plus simple et la plus juste.

"En dernière analyse dit-il, quand on parle de névropathies mercurielles, il en est pour le mercure ce qu'il en est pour le plomb et pour l'alcool, c'est à la prédisposition héréditaire qu'il faut s'adresser pour avoir la raison du développement de l'hystérie. "

M. Dutil, mon chef de clinique, qui a fait sur le tremblement hystérique une thèse très importante, a été amené, lui aussi, à s'occuper du tremblemement mercuriel, et il pose la question de l'existence du tremblement mercuriel. Pour étudier les conditions de son origine, il s'est rendu dans les ateliers, et là, sur les cinq trembleurs qu'il a rencontrés, il en a trouvé trois qui présentaient de l'hémi-anesthésie, des zones hystérogènes et des attaques, à la suite desquelles se manifestait souvent le tremblement. En somme, n'était leur profession, on eût pris ces sujets pour des hystériques vulgaires.

On ne niera pas la nature hystérique de ces tremblements qui s'accompagnent de stigmates. Pour ce qui est des autres? Eh bien ! le tremblement, par lui-même représente un stigmate. Tous les hystériques ne se présentent pas avec des stigmates nombreux; ceux-ci peuvent manquer, et c'est le cas notamment dans l'hystérie monosymptomatique. Les stigmates sont un perfectionnement clinique; ils nous ont été d'un grand secours, reconnaissons-le, mais n'oublions pas qu'ils peuvent faire défaut.

J'ajouterai encore un point. Dans toutes ces variétés d'hystérie toxique, dans lequelles le poison est reduit au rôle commun d'agent provocateur, il semble que la nature différente de l'intoxication ait une influence sur la forme de la névrose. Le saturnisme donnerait plutôt lieu à des anesthésies et à des paralysies, l'alcoolisme à des crises convulsives, alors que l'hydrargyrisme déterminerait spécialement cette forme rare de la névrose, le tremblement.

Cette manière de voir va inspirer notre thérapeutique. Nous ne donnerons pas à nos malades le traitement antimercuriel, les iodures, les bains de vapeur..., etc., mais les soignerons comme des hystériques, soit par suggestion, l'hydrothérapie, etc. [3].


1. Letulle. Note sur le tremblement mercuriel. France médicale, 1888, no 132, p. 1592.

2. Letulle. Essai sur l'hydrargyrisme professionnel. Revue d'Hygiène 1889.

3. Nous pouvons ajouter que M. Rendu, avec qui M. Charcot s'est rencontré dernièrement, lui a dit partager complètement cette manière de voir en ce qui concerne la non-existence d'un tremblement mercuriel.

Commentary:

French neurologist Jean Martin Charcot (1825-1893) was something of a Christian Barnard of the mind in his time, a popular, intriguing celebrity doctor, who seemingly had the keys to the dark secrets of the human soul. His lectures attracted lots of people, not just medical students but authors and artists. He did not invent the concept of hysteria, but he defined it further and tried to show how it could be switched on and off with the help of hypnosis. Sigmund Freud, who studied hypnosis with Charcot during the winter of 1885-86, admired him immensely and developed the idea even more, now also taking into account the unconscious. Hysteria was very much a kind of early theory of the somatization disorder we hear about today. The above text about the mercurial tremor shows that this line of reasoning was as alluring then as it is today.

In this lecture (written down by French pathologist Paul Blocq), Charcot begins by saying that there are many professions where people risk mercury poisoning, hatters, mirror-makers, wood-gilders etc. But it is also necessary to account for those cases where this kind of poisoning is just a myth, he adds. And he presents three patients, one with multiple sclerosis and two, a gilder and a furrier, suffering from mercurial tremor:

"At first sight, the similarities are striking. Examine them, seated, quiet, at rest: they do not tremble. Their tremor belongs, indeed, to the category which I have called intentional tremors. [...] the tremor occurs only at the time of the movements that one has the intention to make. "

And Charcot demonstrates this by commanding one of the patients to take a spoon and simulate the act of putting it to the mouth, which causes the tremblings to start.

But there is another kind of tremor, Charcot continues, the hysterical intentional tremor, or the Rendu type, named after the doctor who discovered it:

"But this last, does it represent a true morbid species? In my opinion it is nothing; on the contrary, at present everything inclines me to believe that the mercurial tremor does not exist: at least, this is what I will attempt to demonstrate for you. It is a curious point in the history of the mercurial tremor that although it is frequent among those poisoned at work, it is almost unknown among medicinal poisonings. "

And Charcot wonders why syphilis patients did not get sick by the ointments they were rubbed with, but only occasionally those who administered this treatment. Would it be due to the way the drug was being introduced? he asks. It did not seem so:

"We learned thus, that work in certain workshops determines the tremor while somewhere else we do not observe it under the same conditions. In addition, as soon as a worker starts to tremble in a workshop, the foreman, having learnt from experience, dismisses him immediately, because if one of his men starts trembling, it won't be long before several of them do."

Wouldn't the mercurial tremor be a myth? Charcot asks. There has been much said in medical history about mercury staying in the tissues and the bones. But no anatomist, in particular not Virchow, ever observed anything similar, he argues. And didn't van Swieten claim that he had found quicksilver in the ventricles of the brain? All this belongs to the domain of the legend, Charcot says, and as for the mercurial tremor, he thinks it can be assigned to the same category:

"The mercurial tremor would quite simply be a hysterical tremor. These doctrines are not my own; they were formulated already by Monsieur Letulle. By his studies of accidents caused by mercury, this distinguished doctor was inclined to conclude in 1888, 'that it is possible to declare that for a great number, I do not dare to say for all the cases, the mercurial tremors belong — to the great neurosis'".

There is no need, Charcot says, to search for other mercurial tremors than the hysteric type, because "I don't hesitate to assert that all these tremors are hysteric". And he mentions "toxic hysteria", such as that from lead or alcohol:

"As for alcoholism it's the same: we know the paralysis and the shiver which it causes, and distinguish them from the neurosis which it provokes.

[...]

In all these types of toxic hysteria, where the poison is reduced to the role of common provoking agent, it seems that the kind of poisoning has an influence on the shape of the neurosis. The lead poisoning would bring about anaesthesia and paralysis, alcoholism would cause convulsive crises, while mercurialism would determine especially this rare kind of neurosis, the tremor."

And Charcot concludes:

"This manner of seeing will inspire our therapy. We will not give to our patients any antimercurial treatment, iodides, steam-baths ..., etc, but will attend to them as hysterics, it may be by suggestion, hydrotherapy, etc."

/KET

Reference: "Existe-il un tremblement mercuriel?", Le mercredi médical, 1892, 25:293-294.



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